CE, 28 octobre 2021, n° 434676

Par une décision en date du 28 octobre 2021, le Conseil d’Etat a précisé les exigences en matière d’arpentage préalables à un arrêté de cessibilité.

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé le principe de sa décision du 9 juillet 2018 (CE, 9 juillet 2018, n° 406696), selon lequel : « Lorsqu’un arrêté de cessibilité déclare cessibles des parties de parcelles, ce qui implique de modifier les limites des terrains concernés, un document d’arpentage doit être préalablement réalisé afin que l’arrêté de cessibilité désigne les parcelles concernées conformément à leur numérotation issue de ce document ; que le défaut d’accomplissement de cette obligation, qui constitue alors une garantie pour les propriétaires concernés par la procédure d’expropriation, entache d’irrégularité l’arrêté de cessibilité ».

Le Conseil d’Etat a considéré que lorsque sont déclarées cessibles des parties de parcelles – impliquant de modifier les limites des terrains en litige, un document d’arpentage doit être réalisé antérieurement à l’arrêté de cessibilité, et ce, afin que l’arrêté désigne les parcelles concernées conformément à leur nouvelle désignation, telle qu’elle résulte de ce document.

Toutefois, le Conseil d’Etat est venu préciser qu’il n’en résulte pas pour autant que « le procès-verbal d’arpentage doit être joint à l’arrêté de cessibilité dès lors que les annexes de cet arrêté, établies d’après un document d’arpentage, délimitent avec précision la fraction expropriée de la parcelle dans sa superficie et indiquent les désignations cadastrales de cette parcelle, ainsi que sa nature, sa contenance et sa situation ».

Cette dernière décision ne remet donc pas en cause le principe selon lequel le document d’arpentage doit bien être réalisé avant l’arrêté de cessibilité.

Mais, en l’espèce, la problématique résidait dans le fait que seul l’état parcellaire avait été joint à l’arrêté de cessibilité et non le procès-verbal d’arpentage. Autrement posé, la question était de savoir si le document d’arpentage doit obligatoirement être annexé à l’arrêté de cessibilité.

Le Conseil d’Etat a jugé que la Cour n’avait commis aucune erreur de droit en relevant que la différence de surface mentionnée dans le cadre de l’enquête parcellaire, et celle mentionnée dans le tableau joint à l’arrêté de cessibilité (différence de 8 m²) n’était pas de nature à induire les propriétaires de la parcelle  en erreur quant à la nature et aux conséquences de l’opération, compte tenu de la faible différence de métrage et de l’indication exacte des références cadastrales.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré que l’état parcellaire annexé mentionnait bien la situation, la contenance et la désignation cadastrale du terrain initial, ainsi que l’emprise à acquérir, le surplus restant, et précisait aussi la superficie de la surface à acquérir et celle du surplus restant. Ces annexes à l’arrêté de cessibilité avaient donc été établies en considération du document d’arpentage, lequel n’avait, lui, pas obligatoirement à être joint à l’arrêté de cessibilité.

Les Maîtres d’ouvrage, qu’ils soient publics ou privés sont tôt ou tard confrontés au principe ERC, c’est à dire – éviter, réduire ou compenser – les impacts de leurs projets sur l’environnement.

De ce fait, si l’éviction ou la réduction des préjudices n’est pas possible, l’article L163-1 du Code de l’environnement prévoit l’instauration des « mesures de compensation des atteintes à la biodiversité visant un objectif d‘absence de perte nette, voire de gain de biodiversité. Elles doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes ».

La Loi implique donc une réalisation d’action concrètes et matérielles. La localisation est un critère déterminant de l’acceptabilité de ces mesures. En effet, la compensation doit avoir lieu à proximité du site qui a subi les dommages écologiques et en continuité écologique avec de dernier.

Ainsi, si à l’emplacement des dommages, aucune autre solution technique n’a pu être mise en œuvre, la réussite d’un projet de compensation dépendra de la capacité à trouveraménager et protéger de nouveaux terrains de manière durable. Dans ce cas, afin de répondre aux exigences législatives, il s’agira de re(créer) un site au moins équivalent en termes de biodiversité et/ou fonctionnalités écologiques, en en garantissant la maîtrise foncière, les aménagements écologiques et le suivi dans le temps.

L’ingénierie foncière déployée comprend généralement plusieurs étapes : l’identification du foncier éligible, la définition d’une stratégie foncière et/ou de conventionnement et l’estimation des préjudices, les négociations avec les propriétaires et exploitants, et enfin la finalisation des cessions ou contractualisations ; l’expert foncier et agricole intervenant lors de plusieurs phases de la procédure. Nous nous proposons d’aborder ici quelques éléments qui nous semblent importants lors de la phase initiale de recherche des terrains.

La sécurisation foncière s’envisage avant toute démarche de recherche

Les outils juridiques de maîtrise foncière sont riches, surtout en matière de compensation écologique avec l’instauration des obligations réelles environnementales. Les cas particuliers de détention de la propriété et d’usage rencontrés dans toutes leurs diversités doivent néanmoins pouvoir entrer, in fine, dans un cadre sécurisant la maitrise foncière sur le long terme, celui de la durée des mesures compensatoires (25 à 30 ans). La stratégie de sécurisation foncière gagne ainsi à être définie avant toute recherche, les experts fonciers apportant leur avis en fonction des grands objectifs de compensation et des caractéristiques du territoire, les avocats leur savoir-faire au regard de la complexité d’écriture de ces documents dont la temporalité nécessite l’insertion de phases successives et de clauses particulières.

 

La recherche foncière

Dans la recherche des terrains éligibles à la compensation, deux critères doivent être pris en compte : la hiérarchisation des potentialités écologiques, et l’étude de la dureté foncière. Ainsi, avec la collaboration d’un bureau d’étude écologue, seul capable de justifier de l’intérêt écologique d’un site, un premier ensemble de terrains, situé dans un périmètre proche du projet va être identifié. A cette étape de la recherche de foncier, le choix des terrains nécessite une analyse judicieuse : l’erreur de certains maîtres d’ouvrage est de cibler des sites déjà riches en biodiversité, ce qui ne permettra probablement pas une implantation de mesures compensatoires, puisque le gain de protection ou d’augmentation de la biodiversité n’y sera pas significatif.

 

L’analyse de la « dureté foncière », socle argumentaire des négociations

Le deuxième critère de sélection, à savoir la dureté foncière, que l’on peut définir comme la « difficulté théorique à l’obtention de la maîtrise foncière » est analysée ensuite par l’expert foncier. Elle se base sur une étude de la propriété et ses formes (démembrement, indivision, …), sur l’identification des exploitants et des différents baux (commodat, bail…) et la prévision des impacts de l’instauration de mesures de compensation pour l’exploitant.

C’est ainsi que les terrains ciblés seront doublement hiérarchisés : par leur potentiel de renaturation et leur dureté foncière. Commence alors un jeu de « ping pong » entre les écologues et les experts fonciers selon que tel ou tel terrain pourtant bien noté en potentiel de compensation ne peut être maîtrisé et impose de relancer de nouvelles recherches un peu plus éloignées du lieu de l’impact écologique.

L’analyse des préjudices réels comme seul moyen d’éviter la surenchère indemnitaire.

L’estimation des impacts provoqués par l’implantation des mesures compensatoires, dont les résultats seront discutés au moment des négociations, doit être abordée poste à poste, préjudice par préjudice, de manière à objectiver les conséquences comme les évaluations financières qui en découlent. Les indemnités pourront être en numéraire et/ou en nature ; leurs modalités de versement et de mise en place négociées, en fonction des marges de manœuvre parfois réduites du maître d’ouvrage, puis inscrites dans les conventions dont le mécanisme prévu bien en amont permettra d’amener à des modalités de maîtrise foncière durable (obligation réelle environnementale, clauses environnementales de bail rural avec cession ou servitude, etc.).

L’issue de cette procédure de maîtrise foncière aboutit en effet, comme cela est couramment constaté, à un panachage de solutions (conventionnement / obligation réelle environnementale /cessions, etc.) ; n’oublions pas que l’implantation de mesures compensatoires est avant tout un acte amiable de bonne volonté de la part des propriétaires, exploitants agricoles et autres titulaires de droit pour lequel la négociation, riche de toutes les solutions de maîtrise foncière existantes, doit prendre en compte chaque cas particulier.